Sur le Tour de France by Blondin Antoine

Sur le Tour de France by Blondin Antoine

Auteur:Blondin, Antoine [Blondin, Antoine]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Récit, cycliste, Tour de France, cyclisme
Publié: 2012-05-25T21:15:10+00:00


Pénétrons dans la salle de presse à l’heure de pointe. Elle présente l’aspect d’un chambardement indescriptible, aussi ne tenterons-nous pas de le décrire. Retenons simplement que le Tour, tel qu’on le parle, entretient un merveilleux brouhaha. Voici, à peu près, ce que l’on peut entendre :

— Il n’a pas débouché dans la Chartreuse.

— Par ce temps, il ne pouvait pas mettre le nez à la lucarne.

— Dans Porte, il risquait de passer par la fenêtre.

— En tout cas, il est resté en rideau.

— Avait-il le pied au plancher ?

— J’ai l’impression qu’il était au plafond.

— Il descend comme une caisse à savon.

— Il monte comme un fer à repasser.

— Il va finir lessivé.

— Il terminera en liquette.

— À moins qu’il ne prenne une de ces vestes.

— Il ne peut pas laisser tomber.

— Mon Dieu, s’il est à la ramasse…, etc.

Univers essentiellement mythique, dont la légende sensible, entretenue par la chose vue, se survit par tradition orale, la geste du Tour de France a besoin d’être vécue par ceux dont la vocation est de la célébrer. Bizarrement, la télévision, aussi accomplie soit-elle dans l’information concrète, n’imprègne pas la mémoire organique, celle qui peut vous restituer l’atmosphère, les tenants et aboutissants, le vrai parfum d’un épisode. On est celui qui sait, on n’est pas celui qui sent. Au baisser de rideau, elle vous laisse sur une plage aride de chiffres. L’écume même de la course s’est retirée. Cette aventure, en outre, est à vivre en commun.

Depuis 1954 où je suis venu à ce monde pour la première fois, il a beaucoup changé. Il a gagné en gravité pour ce qui est du climat, en sagesse pour ce qui est du suiveur, en abstraction pour ce qui est du coureur. Ces choses se tiennent.

Les suiveurs se suivent, et ne se ressemblent pas. Ne se rassemblent guère non plus, sur le parcours. L’institution si précieuse de Radio-Tour, en dispensant les journalistes de se précipiter aux points cruciaux pour quêter et confronter des renseignements immédiats, aurait tendance à les disperser et à les isoler. Une rigueur austère semble s’instaurer sur la caravane : on craint probablement que la gaieté bariolée qui régnait naguère ne déteigne sur les athlètes et ne les distraie des rudes tâches à accomplir. Finies les chemisettes exubérantes qui fleurissaient aux portières des voitures, les colloques blagueurs avec l’indigène du bord des routes, voire à coups de jets d’eau, les farces et attrapes des soirs d’étape, auxquelles des champions, moins ascétiques qu’Eddy Merckx, ne dédaignaient pas de se mêler.

Au demeurant, on n’en aurait guère le loisir. Les coureurs vont trop vite, et en somme c’est tout ce qu’on leur demande au départ. À l’arrivée, en revanche, on aimerait qu’ils installent davantage leur personnalité, quelle que fut la moyenne du jour. Mais les chiffres qui parlent vous coupent un peu la parole.

Les coureurs de l’heure présente n’ont plus d’arrière-pays. Vous chercheriez en vain dans leurs moustaches un relent de gros rouge. Vous ne devinerez pas leur histoire personnelle à quelque geste esquissé, à



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